A tout moment, un minuscule groupe de soldats armés et déterminés peut provoquer une crise politique majeure et inattendue dans un pays qualifié de démocratique et réputé en paix. En cas de crise socio nationale aiguë, si les militaires, conscients de leur puissance, décident de l’utiliser, il est souvent très difficile de les arrêter. Pour cela, il faut donner une formation polyvalente aux soldats, aux policiers, aux gendarmes et à tous les autres corps habillés qui ont pour métier le maniement des armes à feu afin qu’ils adoptent un comportement et un esprit patriotiques, mais aussi le sens du discernement nécessaire pour comprendre où se situent les intérêts du pays et de la majorité des citoyens.
Il est faut et fallacieux de penser et d’affirmer que l’armée est apolitique. Dans tous les pays et continents du monde, et en particulier en Afrique, l’armée est, à priori, inféodée aux institutions étatiques. Elle est légalement au service de la puissance publique. Par périodes, si les gouvernants déclarent que l’intégrité territoriale du pays est menacée, elle intervient pour préserver l’ordre. De même, si la paix sociale et l’ordre public sont menacés, elle agit pour ramener la tranquillité. Dans les pays noirs en développement, l’armée doit être une composante du nationalisme et du patriotisme, comme elle est l’un des éléments constitutifs des institutions républicaines, et de souveraineté dans les pays développés… Vive la République, vive l’Armée, vive la Démocratie gabonaise et le patriotisme.
L’Armée, au sens large, se compose des policiers, des gendarmes, des marins mais aussi des militaires. En général, l’armée se résume aux soldats recrutés et formés pour faire la guerre contre les agressions des forces étrangères de même nature.
A l’indépendance, tous les pays francophones, anciennement colonisés ont eu pour souci de créer une armée nationale efficace et opérationnelle en prévision d’éventuels conflits avec leurs voisins immédiats ou avec des forces endogènes déstabilisatrices de leurs jeunes institutions. Le respect et la considération de ces nouveaux Etats passaient par l’existence d’une armée nationale composée d’éléments déterminés, formés et fiers de leur indéfectible dévouement au service du pays, de leur neutralité à l’égard des luttes des partis politiques.
Mais, progressivement, l’on est passé des armées patriotiques, se voulant neutres, aux armées interventionnistes qui de plus en plus impliquées dans les querelles politiciennes. Au cours des dernières décennies, on a assisté à un afflux des hauts gradés des armées africaines dans le monde politique et du pouvoir.
Des généraux se sont débarrassés de leur treillis pour revêtir le costume civil, avant ou après s’être accaparés de la plus haute fonction publique étatique du pays. Du Congo Léopoldville au Congo Brazzaville en passant par le Cameroun, l’Angola, la Côte d’Ivoire, le Tchad, la Centrafrique, la Haute Volta, le Gabon, les 2 Guinée, le Mali… les soldats ont fait des intrusions violentes dans l’arène politique avec des conséquences diverses.
A l’intérieur de certains pays, les populations et les militaires se sont retrouvés face à face, les armes à la main, quand le processus et les enjeux politiques se posaient en termes de prise ou de conservation du pouvoir suprême. Dans ce contexte marqué par la forte détermination des militaires, soit pour arbitrer les crises sociales, pour appuyer un bord politique, ou pour tenter de prendre ou de changer la direction des pays, le Gabon apparaît comme une exception.
Les tentatives de février 1964 et de mai 1990 n’ont fait que confirmer sa caractéristique extraordinairement atypique. L’échec du coup d’Etat militaire de 1964 contre Léon Mba et celui du mouvement populaire de 1990 de Port-Gentil, contre Omar Bongo, ont clairement démontré la ferme main mise de la France, par l’intermédiaire de son armée, sur ce pays naguère considéré comme la « vache laitière » de l’Afrique Equatoriale Française (AEF).
Les « officiers » gabonais qui ont initié le coup d’Etat de 1964 avaient des qualités indéniables, ils étaient courageux, intellectuels, jeunes et patriotes. Certains avaient été formés à la prestigieuse école Saint Cyr et semblaient avoir choisi par vocation, le noble et exigeant métier des armes, peut-être leur manquait-il l’expérience des violents affrontements politiques.
Mombo, Mbene et Ndo Edou sont les trois noms qui symbolisent l’acte posé par ce groupe de compatriotes, qui a osé remettre en cause le pouvoir du « Vieux Mba » et braver la puissante tutrice qui les avait formés. Malheureusement, comme souvent dans nombreux domaines au Gabon, ce ne fut pas un coup de maître et une répression féroce s’abattît sur ces téméraires et audacieux jeunes patriotes qui avaient commis la fatale erreur de pas avoir été au bout de leur logique en écartant toute possibilité de retour de Mba au pouvoir.
Il semble que ni la police, ni la gendarmerie gabonaise n’avaient été largement impliquées dans l’opération. Les leçons et les enseignements de cette grave crise politico-militaire, aux enjeux sociopolitiques stratégiques, qui avait opposé le gouvernement du Léon Mba aux principaux acteurs politiques tels J. H. Aubame, P. Gondjout, Simost, ont été tirés par la France et leur dauphin-allié en formation, Albert Bernard MBongo qui sera propulsé au sommet de l’Etat en 1968 pour succéder à Mba.
Dès lors, débuta la banalisation de notre armée qui commença à perdre son prestige pour devenir un machin quelconque soumis à la politique. Les recrutements, les promotions ou les avancements, les avantages étaient décidés par le Chef suprême des armées, guidé, non par le rendement et la compétence de l’Agent, mais par la logique de la géopolitique. Le nombre d’officiers supérieurs se multiplia. Lieutenants, Capitaines, Généraux furent transformés en fonctionnaires à hauts salaires. Le ratio généraux-hommes de troupes augmenta, les stages et les formations, sous toutes les formes, devinrent sélectifs.
Notre armée patriotique de la période post indépendance se dégradera continuellement pendant que les autres pays procédaient au renforcement de leurs forces de défense et de sécurité nationales. Pour n’avoir pas été imprégnées de valeurs républicaines, très vite, certaines armées des pays francophones vont facilement se soumettre aux diktats des pouvoirs politiques qui mirent tout en œuvre pour corrompre leurs chefs, pour les détourner de leur idéal et de leur vocation, en les intégrant dans le jeu politique.
C’est ainsi que le pouvoir va soumettre l’obtention des grades dans l’armée au favoritisme ethnique, dans le but de s’assurer la fidélité de ses responsables à l’égard de la politique en place, en les enrichissant et en les transformant en alliés et en partenaires dociles et silencieux. Dans de nombreux Etats, n’ayant pas d’occasions pour faire la guerre, la hiérarchie militaire a été invitée à faire la politique, en se mettant, non pas au service du peuple, mais au service du pouvoir et, par endroits, contre le peuple.
Du sommet à la base, les armées africaines sont dominées par l’ethnie du chef de l’Etat du pays et par celles qui lui sont proches. Depuis 2009, l’armée gabonaise se renforce par les équipements neufs et les recrutements. C’est dans ce secteur que présentement, la politique de création des emplois est très visible et spectaculaire.
Venons-en à ce qui s’est passé au Mali, il y a quelques jours. Une fois encore, nous avons vu qu’en Afrique noire, l’armée détient une force qui peut, à chaque instant, s’exercer et dominer le pouvoir politique.
Le Premier Ministre Modibo Diarra, un grand intellectuel qui, certes, n’avait rien d’un homme politique, avait été accueilli avec joie par les siens. Considéré comme un savant par les populations, il a été démis de sa fonction par les militaires mécontents de son action et de sa perception de la situation politique du pays.
Cette fois, ce n’est pas le Chef de l’Etat qui a été visé, mais son collaborateur immédiat. Les soldats pouvaient-ils poser cet acte sans que le Président ait été informé ? Sans son accord ? Comme les postes et les fonctions politiques ont un puissant effet attractif, un nouveau Premier Ministre a accepté de former une nouvelle équipe gouvernementale.
Décidément, les africains ont d’énormes problèmes d’éthique, de respects des principes et des valeurs qui forgent un Etat de droit. Il n’y aura pas de démocratie et de liberté en Afrique, tant que les missions et la vocation de nos armées ne seront pas revalorisées, et tant qu’elles n’auront pas une réelle responsabilité dans l’organisation rationnelle et équitable de la politique de défense de nos sociétés, aussi bien en interne, que vis-à-vis de l’étranger.
Plus qu’ailleurs, les valeurs, les ordres et les principes sont de rigueur dans l’armée.
Pour ce faire, il faut qu’elle se réorganise et se réforme autour de ses références intrinsèques de corps pour qu’elle agisse, non par la volonté d’un homme ou d’un groupe d’hommes, mais en considération des intérêts du pays et des populations. Le métier des armes est noble, il doit le rester jusqu’à la fin des temps.
En Afrique, l’armée doit compter parmi les gardiennes de la Démocratie et être son principal encadreur, en se situant du côté de la souveraineté populaire tout comme elle doit être au service des institutions républicaines démocratiques légales et légitimes.
En théorie, l’on affirme que la période des coups d’état est révolue en Afrique. En pratique, il est douloureux de constater que des agents rétrogrades y recourent encore. Quand l’occident oriente sa force armée dans des missions de guerre de paix à l’extérieur dans les Etats noirs, les Armées sont encore obligées de se préoccuper des conflits internes provoqués par les luttes pour le maintien ou l’accès au pouvoir d’Etat et pour défendre l’indivisibilité des pays. La nouvelle armée africaine doit être une armée de facilitation, de résolution et surtout de prévention des conflits par la dissuasion et la persuasion.
Comment un Général qui se défait de son treillis pour enfiler un costard et occuper un poste ministériel peut-il encore être neutre en cas d’affrontement entre le Gouvernement et les syndicats ou le camp politique opposé ?
Ce mélange des genres a abouti à former des armées administratives fonctionnarisées et non des armées de corps, d’élite ou de métier. Pendant plusieurs décennies, les armées africaines se sont politisés à cause de la mauvaise gouvernance de cette institution et de la volonté des gouvernants civils à les associer aux affaires politiques, au lieu de rehausser leur statut, leur organisation et leurs conditions générales de carrière et d’existence.
L’armée, la santé et l’enseignement depuis la maternelle, entre autres, doivent être profondément réformés pour devenir des secteurs où l’on fait carrière avec détermination, fierté et assurance. L’on a l’impression que l’armée est devenue un lieu de survie et de rattrapage pour avoir un emploi et un salaire. Le métier d’armes doit s’apparenter aux métiers de pilote, de médecin, de marin, d’enseignant, d’avocat, de prêtre….
Un métier où l’on s’engage, non par nécessité, mais par vocation et par conviction. C’est à ce prix que l’on maintiendra les militaires dans les casernes qu’il faut moderniser en y créant les conditions de vie communautaire plus humaines et plus épanouissantes. Parce que, tout est bon, tout est bien, tout est grand et noble à sa place.
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