Cet écrit est destiné en priorité à ceux qui ont connu la douloureuse mais exaltante épreuve d’accompagner un Etre cher, agonisant et mourant, à son dernier souffle. Nous devons affronter cette épreuve très plus pénible qui contribue à nous préparer à mieux attendre notre tour.
Un jour, un vieil homme mourant, et donc en partance pour « l’au-delà » m’avait invité à m’asseoir à ses côtés. Je me suis exécuté. Et, silencieux, il posa sur moi un regard à la fois vide, profond et expressif qui me fit frémir. Il avait vieilli au point qu’il était frêle et dégageait une pathétique fragilité. Avant son discours, il se racla la gorge à trois reprises comme pour dégager ses cordes vocales. Il en sortit un son qui ressemblait à un sanglot.... De sa position couchée, il se redressa très lentement en s’aidant de sa canne, et se retrouva assis sur son lit où étaient étendus un chasse mouche et un natte tissée en matériaux de chez nous. Un rictus en guise de sourire laissa voir une partie de sa bouche édentée.
L’homme était notoirement réputé pour sa sagesse, son éloquence et sa vision anticipée des évènements à venir. Il avait inventé des proverbes et des jurons qui étaient repris par les populations de la contrée. Il m’a demandé mon nom, que du reste, il connaissait parfaitement. Puis, il a commencé à parler avec une voix rauque et basse ponctuée par des rots creux et tremblants.
Il dît :
« Fils, si tu veux être un homme libre, digne et sage, il ne faut jamais rien devoir à personne. Tout ce que tu devras à autrui, toute dette vis-à-vis de quelqu’un viendra toujours en diminution de quelque chose qui t’appartiendra et te perturbera, quelque chose qui ne sera pas forcément l’argent ou un bien…. Mais quelque chose. Je ne te dis pas de ne point donner pour aider les autres, je te dis de ne jamais donner au point de te retrouver dans un grand embarras. Je ne dis pas non plus de ne pas contacter des dettes normales, je te conseille de faire la part des choses quand tu t’engages dans tout ce que tu entreprendras durant ta vie pour les besoins d’existence des tiens. Sache et retiens que, ce que tout homme a de plus précieux et qui est disponible, à égalité, pour tous les vivants, c’est la Liberté. Quant à l’égalité elle n’existe pas seule, et presque pas, elle n’existe qu’en rapport avec d’autres références de valeur dont la Liberté, les droits etc..Mais, pour bien comprendre ce qu’est la liberté, ce qu’est être libre, il faut aller chercher dans le sein de Dieu. Lui seul est la source de toutes les valeurs au sommet desquelles trône la Liberté de laquelle naît l’Amour et la Sagesse. Dieu est libre et Liberté. Pour cette raison, il a créé l’homme libre. La liberté surpasse tous les autres attributs divins parce qu’elle renferme la totalité de l’Etre. Pour cette raison, il y a 3 situations exceptionnelles qui portent une violente atteinte à l’intégrité physique, mentale, morale, spirituelle de l’homme …à sa Liberté. Ce sont la maladie, la prison et la mort. Ces trois évènements, tout en dénaturant l’homme ; le placent face à lui-même, esseulé et méditatif ; mais entouré des personnes qui ne peuvent pas comprendre ce qui se passe au tréfonds de lui. Cependant, ces 3 évènements sont porteurs de grandeur et d’épanouissement, en ce qu’ils sont à la fois les meilleurs enseignements et les meilleures expériences qui vous rapprochent de la magie divine, de l’abstraction… Les trois étroits chemins, parmi ceux qui conduisent vers Dieu sont la Grâce, qui est gratuite, spontanée, inattendue et acquise sans efforts, la Douleur ou la Souffrance qui peuvent provenir des autres et la Méditation, comportement individuel, qui prend les formes de prières, des chants des louanges et des cantiques. Quand on a vécu deux de ces trois graves et pénibles situations, qui sont privatives de Liberté, la maladie et la prison, on s’est préparé inconsciemment au troisième qui est la mort. On s’en est rapproché. La majorité des hommes ou des femmes qui ont été gravement malades, qui ont été emprisonnés et qui en sont sortis, gardent souvent de ces épreuves le sentiment d’avoir approché Dieu, d’avoir eu avec lui des instants d’intime complicité et des relations filiales de toute tendresse. Dieu aime se montrer, en secret et en silence à l’homme en peine enfermé dans la solitude d’une cellule de prison, ou à celui qui est inerte et allongé dans une chambre d’hôpital. Il peut aussi se manifester de façon expressive devant des témoins rassemblés en son nom ».
Le vieil homme qui m’avait invité à dialoguer m’est apparu en un très bref instant comme l’incarnation instantanée de Dieu. D’un Dieu vivant et connu et prédisposé à la bonté, malgré ses rudes recommandations. Il parlait de tout, s’exprimait sur une multitude de sujets dont certains me paraissaient sans fondements et difficiles céans, mais qui m’ont interpellé plus de 30 ans après notre entretien secret.
Quand plus tard j’eus l’occasion d’avoir quelques apartés avec des hommes puissants, riches et rusés, je retrouvais les mêmes sensations quand revenaient à ma mémoire les paroles de ce vieil homme qui m’avait permis de connaitre Dieu, de le vénérer, de l’adorer et de le chahuter. L’un de ces hommes avait la faculté de parler le langage du silence avec son cœur.
Il me souvient qu’au cours d’une rencontre avec lui qui a duré entre 20 et 30 minutes et à laquelle assistait une personnalité encore vivante, nous nous sommes livrés au mystique rituel qui consiste « à communiquer et à échanger en pensées et en paroles silencieuses en se tenant par les yeux ». Rituel auquel recourt les gens qui se détestent ou s’estiment et qui savent que ce qui les oppose peut conduire à leur rupture.
A la fin de la conversation, la séparation fut très électrique et, nous ne nous sommes plus jamais parlés jusqu’au jour où je me suis incliné triste, pensif et respectueux devant son cercueil, déçu de n’avoir pas eu l’occasion de le regarder une ultime fois.
Les paroles de vérité sont si douces et tranchantes qu’elles vous pénètrent et transforment radicalement certains de vos principes et vos conceptions sur les hommes, sur les autres éléments de la création, sur « Qui est Dieu ? » sur ce « Qu’est-ce qu’est la Vérité ? ». De là, vous optez à vivre librement et correctement en recherchant l’harmonie avec Tout. Vous découvrez avec humilité que cesser de vivre est simplement naturel.
Mon ami divin m’a dit : « si tu veux que ta liberté t’agaye et te procure des richesses durables, évite de mélanger les choses et ne fréquente pas plusieurs sanctuaires étrangers qui te paraîtront étranges. Honore ta culture et ses valeurs, ne te tracasse pas à vouloir connaitre Dieu, il est à tes côtés, évite de faire de la pratique de Dieu une corvée…
Fréquente un seul sanctuaire et respecte ceux qui lui sont formes apparentées sans les confondre. Avec beaucoup d’initiation, tu auras beaucoup d’interdits et, du jour où tu oublieras l’un d’eux, tu trébucheras et tu pourrais ne pas t’en remettre.
Avec une initiation unique, tu auras des interdits qu’il te sera difficile d’oublier. L’interdit est fait pour s’en souvenir et son rôle fondamental est de sceller la fidélité d’un individu aux principes et valeurs qui servent de références à un sanctuaire. Sa violation est un signe de faiblesse et de mépris, elle est souvent sanctionnée. L’interdit suprême pour tout grand initié est de ne pas tuer volontairement un humain pour soi. Celui qui agit ainsi attriste Dieu et souille l’esprit de Dieu qui est logé dans le commanditaire, le tueur et le tué. Il pose l’acte le plus odieux et l’irréparable. Si la privation de la liberté envoie l’homme au cachot, la privation de la vie conduit l’homme au tombeau.
Les privations de liberté par la prison, la maladie et le mort sont dans des rapports d’importance. En prison, le corps physique de l’homme peut être maintenu bloqué dans un coin en bon état ; pendant que son esprit est tourmenté. La maladie place le corps de l’homme dégradé, fatigué et amaigri dans un coin et affaiblit son esprit. Quant à la mort, elle entraîne la totalité de l’homme ; son corps et son esprit, sous la terre en le soustrayant de la vue des autres. Cependant, l’homme ne meurt pas, il change de forme. Comme l’Autre, il y a transfiguration et s’amélioration ; tout comme le spermatozoïde qui sort des entrailles d’un mâle pour former, au contact de l’ovule femelle, un fœtus qui se transforme jusqu’à la formation d’un corps d’homme qui sort d’une femme pour se retrouver dans le monde. L’homme est en perpétuel transformation. Il ne s’en aperçoit que lorsque la dégradation par le vieillissement apparait dans toute sa nudité. L’homme ne meurt pas, il est vivant parmi ceux qui l’ont connu et qui restent en vie ; tout comme il est vivant parmi les morts qui l’ont connu et qu’il retrouvera. Parfois, endormi ou éveillé, je revois le vieil homme qui m’a donné la précieuse clé qui ouvre toutes les serrures, ; cette sorte de passe-partout qui sait ouvrir et fermer ; qui est accroché en moi et qui s’actionne automatiquement en cas de nécessité. Tout en étant déjà au delà du monde, un homme peut être aussi présent parmi les vivants. L’Homme que les vivants croient vivant est aussi parfois, dans le même temps, parmi les morts.
Quand un vieux est proche de la mort, il a en lui la faculté de prophétiser parce qu’il se tient entre deux sphères complémentaires mais opposées en apparence. La chair est présente chez les vivants qui la voient et la touchent ; tandis que l’esprit est déjà chez les morts qui le sanctifient ou l’accablent.
J’ai assisté aux agonies courtes ou longues de quelques personnes mourantes, des Etres aimés. Et, chaque mot qui sortait de leur bouche semblait avoir un double sens. Ces personnes parlaient en parabole, de façon presque inaudible et, comme gagné par la honte, ne regardaient plus personne dans les yeux. Elles étaient à la fois calme et mal à l’aise. Elles semblaient vouloir hâter la fin de cette brève étape de leur vie. A ces instants, leur dire ou évoquer les œuvres de leur vie semblait les agacer, dérisoire, inutile et sans importance (sentiment d’inutilité pour les richesses, les diplômes, les plaisirs, les douleurs etc. que l’on ressent terriblement à la lecture d’une oraison funèbre devant un cercueil contenant un Etre qu’on a connu et aimé).
Ce qui semble préoccuper le mourant, c’est se soustraire rapidement du milieu des hommes, pour découvrir le mystère divin le plus achevé, à travers une agonie qui détache lentement, par une douleur bienfaisante, l’esprit de la chair humaine.
Quand au crépuscule d’une vie, un homme qui réputé puissant et riche, évoque Dieu avec respect ; les simples gens trouvent cela extraordinaire parce qu’ils ne savent pas… qu’il se rapproche de l’autre bord où se trouve déjà une partie de lui et qu’il en est conscient.
Les mourants nous parlent en paraboles pour que comprenne qui pourra, et parce qu’ils ne veulent pas dévoiler certains secrets éternels ; soit par interdit ou par pudeur. Mais, ils disent la vérité.
Gravées en moi, les paroles du vieil homme me reviennent intactes et abruptes chaque fois qu’un évènement m’invite à la faiblesse, à la bêtise et tente de me détourner de mon itinéraire et de mon idéal. Tout mortel doit être convaincu de son destin. Iil doit être capable de choisir son mode d’existence et méditer sur sa fin future. Ici, les choix sont libres ; ne peuvent pas et ne doivent même pas être identiques.
Les idéalistes, les doux rêveurs, les passionnés, les téméraires …. se distingueront des conformistes, des épicuriens jouisseurs, des poltrons, des lâches. Mais, pour tout cela, il faut passer par la jeunesse et, si possible finir vieux. Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait.
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